Après plusieurs mois d'absence et pour relancer le Lab sur de bonnes bases, voici une petite note sur l'un des groupes anglais les plus célèbres de l'after-punk : The Cure.
Dans ses premières années, Robert Smith asuccessivement pris le train en marche de la new wave, du postpunk et de la new pop. Voici donc trois titres qui, mis en parallèle, peuvent aider à soigner l'ambiguïté entre ces trois concepts :
- une new wave piquante dans la lignée des Buzzcocks et d'Elvis Costello :
- un postpunk translucide évoquant Wire et Joy Division :
- une new pop psychédélique en réponse aux Banshees et aux Associates :
Chanson incontournable de Richard Hell (1976) aussi célèbre qu'incomprise.
I belong to the blank generation and
I can take it or leave it each time
I belong to the ______ generation but
I can take it or leave it each time
La réponse britannique que fut "Pretty Vacant" des Sex Pistols, souffrant également d'un malentendu sur son sens, biaisa considérablement l'interprétation du morceau new yorkais, alors considéré lui aussi comme un hymne je-m'en-foutiste et apathique.
Or le sens de ce manifeste est tout autre. Citation de Hell :
That is the ultimate message of the New Wave: if you just amass the courage that is necessary, you can completely invent yourself. You can be your own hero, and once everybody is their own hero, then everybody is gonna be able to communicate with each other on a real basis rather than a hand-me-down set of societal standards.
L'adjectif « blank » ne renvoie ici non pas au vide ou à l'absence de contenu, mais à l'espace disponible et à remplir de la page ou de la toile blanche. C'est un plaidoyer pour la création et l'implication personnelle.
Musicalement, il s'agit d'un emprunt à "The Beat Generation" de Rod McKuen (1959), chronique satirique et poétique du mode de vie des beatniks.
Hell se l'appropria avec l'idée qu'il faisait partie de ceux qui allait supplanter la Beat Generation.
La radicalité du postpunk et sa théorisation par les musiciens eux-mêmes permettent aisément de transposer leurs démarches ; mais cela s'avère plus subtil dans le cadre de la new pop du fait de son rapport à l'artifice. Quels courants musicaux contemporains présentent une démarche analogue ? Où se trouve la forme actuelle d'un poptimisme tel que celui qui animait les activistes de la new pop ?
Dans son article Make It New (avril 2009), Ciarán Gaynor se penche sur la surenchère de tubes de La Roux, Hot Chip, Empire Of The Sun ou encore Bat For Lashes qui semblent avoir choisi l'explosion new pop comme modèle pour une pop visionnaire et somptueuse. Pour lui, il s'agit d'un retour aux ambitions d'Eurythmics, ABC, Duran Duran, Associates, Simple Minds et aux productions onéreuses de Trevor Horn. Il ne manquerait plus à cette scène qu'un album si parfaitement réalisé et révolutionnaire qu'il laisserait le reste de la pop dans son ombre et l'émulation de la nouveauté technologique qui fit sonner le début 80 extraordinaire à jour .
Pourtant l'esprit de la new pop (une conséquence du rockisme qui impliqua de travailler la pop de l'intérieur, dixit Simon Reynolds) ne peut être qu'un simple retour au tape-à-l'œil de la pop des années 80 en réponse à la « décharge indie » et à la récession suite à la crise financière.
Dans Gangnam Style & How The World Woke Up To The Genius Of K-Pop (décembre 2012), Robert Barry soutient que la Corée du Sud produit une partie de la musique actuelle la plus novatrice. La k-pop présenterait comme
caractéristique prédominante une hybridité participant à une forme d'écrasement transnational des genres contemporains, se référant
fréquemment aux styles occidentaux les plus futuristes depuis la dernière décennie (de la french house à l'aquacrunk). Barry s'enthousiasme sur l'ingéniosité de la construction mélodique, la sophistication de la programmation et l'inventivité rythmique de morceaux à côté desquels la pop anglophone récente sonne préhistorique.
Mais
il y a tout de même ici une différence majeure avec la new pop, qui fut
en grande partie portée par de vrais groupes autonomes, plutôt que des bands construits de toute piècepar des managers d'une maison de disques.
La piste la plus intéressant fut proposée par John Calvert à propos de Gorillaz, dans sa revue de leur collection de singles (décembre 2011). Il suggère que le projet virtuel de Damon Albarn et Jamie Hewlett est une réactivation des idées et pratique d'une metapop dont les racines sont Art Of Noise, Japan et les Talking Heads (Reynolds y ajoute M et les Buggles). Avant même l'explosion de 2001, leur premier tube avait déjà délogé la mentalité indé de sa romance avec les 60s, ses notions d'authenticité, son arrogance et son hégémonie. En poussant plus loin des concepts issus de la culture hip hop et japonaise, ils furent précurseurs de la course folle à l'hybridation à forte conscience pop de la dernière décennie.
Parlons un peu de old wave, c'est-à-dire les formes du rock contre lequel le punk, la new wave et leurs dérivés postpunks avaient réagi.
Dans notre époque postmoderne et rétromaniaque, cette vieille vague semble n'avoir jamais été autant remise à l'ordre du jour.
Bien entendu la rationalité de la rhétorique définissant cette old wave ne peut plus être la même qu'en 1976. Mais il est tout de même amer de constater que ces diverses pratiques musicales alors considérées comme affadies et boursouflées demeurent omniprésentes :
- La solennité pompeuse du stadium rock et l'auto indulgence du prog rock
- La torpeur consensuelle du soft rock
- L'égotisme d'un supergroup et la surenchère virile du cock rock
- La valorisation aristocratique de la technicité du blues rock et du heavy metal
Autant revenir tout de suite à ceux qui cristallisent tout cela au mieux :
Titre de clôture du premier album solo de Philip Lynott, "Solo In Soho" (septembre 1980), en forme de chronique du paysage punk et new wave de l'époque :
The Clash were headed for a head on collision Crash for complete control The Pistols left behind a swindle and a scandal That nobody wished to handle Sham 69 were left in a shambles, Generation X was next Elvis and Nick Lowe, they had a go With the help of the Attractions And Joe Jackson said it wasn't his style Dave Edmund survived alive on top of a Rockpile Devo didn't know if they were men Because they couldn't get no satisfaction The Rats were caught in their own trap Steve Strange began to change Ultravox had a system Kraftwerk nearly beat them And the Yellow Magic Orchestra missed them Eno rose for Lowe The Slits became rasta And the Buzzcocks played faster and faster with adrenalin John Cooper Clarke he was smart The Public Image became Limited The Police were re released and came out as a three piece The 'Rocky Horror Show' became the history of tomorrow Nina Hagen, she was a German maiden And the music press revealed their anger When threatened by the Stranglers This broadcast was brought to you in 1979 I'm just talking to you over these waves Not just about another time and another place And before we knew it The old wave was gone and controlled
Dans cette interview, Lynott explique qu'il s'agit simplement d'un collage, un peu ironique, de titres de journaux musicaux parus dans l'année, (...) très impressionniste.
A noter que sur l'album en question, sont invités beaucoup de figures plutôt old wave comme Mark Knopfler, Huey Lewis et Gary Moore ; mais également Midge Ure et Billy Currie d'Ultravox.
Un classique DIY des Television Personalities sorti en novembre 1978, petit manifeste metapop sur l'échec du punk.
Ces “punks à temps partiel” qui paradent sur Kings Road sont définitivement des poseurs préférant le style à la substance.
Then they go to Rough Trade To buy Siouxsie and the Banshees They heard John Peel play it Just the other night
They'd like to buy the O Level single
or Read about Seymour
But they're not pressed in red So they buy The Lurkers instead
La chanson exprime l'idée que la tendance DIY façon Desperate Bicycles, Swell Maps, Television Personalities est la vraie continuation du punk. Et non un autre sous-Ramones.
Les années suivantes confirmeront cette intuition.
A vouloir comprendre le postpunk dans son contexte historique, des questions se présentent rapidement. Quels courants musicaux contemporains présentent une démarche analogue ? Où se trouve la forme actuelle d'un modernisme tel que celui qui animait les avant-gardes postpunks ?
Dans son article Postpunk then and now (mars 2009), Simon Reynolds propose quelques réponses pertinentes. Tout d'abord, il précise qu'il y a dans le retour au postpunk un contre-sens intrinsèque, car sa démarche originelle s'opposait de façon inflexible à la nostalgie. Et ce malgré la radicalité encore pérenne de certaines formules.
La résurrection de l'esprit plutôt que de la substance de l'ère postpunk serait plutôt du fait de groupes lorgnant vers la pointe de la musique noire contemporaine et tentant d'en assimiler les innovations en matière de rythme, production, ambiance et expression ; et d'embrasser le potentiel des dernières technologies. C'est-à-dire :
- Les groupes « extatiques/expérimentaux » de New York et Brooklyn (Animal Collective, High Places, Gang Gang Dance) qui provoquent des collisions entre des influences folkloriques et world music avec des textures électroniques et des rythmes programmés issus de la techno ; faisant écho plus fidèlement à ce que firent David Byrne + Brian Eno, Liquid Liquid, ESG ou la no wave, que les neo-postpunks sélectifs.
- Le dubstep britannique (Burial, The Bug, Dusk + Blackdown) qui combine la tradition de dub déjanté et son aura apocalyptique de militantisme spirituel, avec les riddims contemporains et la participation de MCs venant du ragga et du grime ; proposant un équivalent moderne au Pop Group, Public Image Ltd ou 23 Skidoo.
Dans Clearing up the indie landfill (janvier 2010), issu de ses Notes on the noughties, Reynolds met en avant Mica Levi qui a jeté un pont sur le fossé considérable entre riot grrrl et grime, entre indie pop et glitchtronica. Avant de conclure, que contre toute attente, malgré la surproduction ayant conduit à la « décharge indie », l'idéal post-punk d'une musique visionnaire et ouverte, ambitieuse, et pourtant pop et groovy, a été réactivé.