19/06/2014

Amour dans l'après-punk

L'une des thématiques les plus récurrentes de toute la pop music est l'amour et la romance. Comme le soulignait Simon Reynolds en 1988 : au cours du XX° siècle, l'idée motrice du romantisme, le rêve d'un amour rédempteur qui résoud tout et résorbe les différences, a enlevé à la religion le titre d'opium du peuple.


Nombreux groupes punks luttèrent pour exposer les bases idéologiques de la société et défièrent textuellement, par l'absurde les conventions de l'amour, de la beauté et de l'aisance. Certains plus radicaux dirigèrent leur énergie pour démanteler les constructions conventionnelles de la féminité et de la masculinité, des rapports sociaux entre les sexes.

L'amour et la sexualité ne sortirent pas indemnes de la démystification brutale qui fut au cœur du punk. Des chansons comme Orgasm Addict (hymne à la masturbation des Buzzcocks) ou Love Lies Limp (ode à l'impuissance d'Alternative TV) essayèrent de traiter le désir d'une façon qui évitait le jeu de rôle romantique de la lovesong traditionnelle. Préférant l'authenticité de la vérité, même lorsque celle-ci est disgracieuse et pathétique.



Plusieurs musiciens new wave évoquèrent la nervosité comme témoignage des tensions physiques de la classe moyenne (blanche), et plus particulièrement son focus obsessionnel sur le contrôle du corps et la discipline émotionnelle. Dans Uncontrolable Urge de Devo, la fameuse sexualité débridée du rock y devient une pulsion aussi absurde et humiliante qu'un tic nerveux.


Les postpunks les plus théoriques œuvrèrent pour un rêve d'égalité dans des relations débarrassées des voiles de la fausse conscience romantique. Ils constituèrent une sorte d'avant-garde au sein d'un mouvement anti-rockiste qui s'opposait au traditionalisme de contenu et de forme qui caractérisait à la fois le rock (avec son hétéro-sexisme) et la pop (avec sa dépendance aux illusions romantiques). Avec Damaged Goods, Gang of Four empruntait le vocabulaire du commerce et de l'industrie pour décrire, avec une sinistre et troublante lucidité, les conséquences d'une rupture en termes de remboursement et de coûts émotionnels.


En plein débat postpunk, l'idée de politique personnelle était sur toutes les lèvres. Les concepts critiques clés furent alors « the personal is political » et « radical content warrants and demands radical forms », comme chez des groupes comme les Raincoats ou Au Pairs. Dans Come Again, ces derniers dépeignirent un couple égalitariste et non-sexiste tentant d'atteindre la parité dans la jouissance et la simulation.


Avec la new pop, l'attention se porta davantage sur le langage public de l'amour et sur l'iconographie pop. Des groupes comme ABC et Scritti Politti, avec leur déconstruction du discours amoureux et leur ambiguïté, furent les pionniers d'une stratégie de déploiement ironique des clichés romantiques, qui furent simultanément célébrés et décortiqués. Derrière ses airs de ballade mignonnette, All of My Heart était vivifiant par son refus de toute sensiblerie et du décorum superficiel qui va avec.



Dans The Word Girl, Green Gartside s'interrogeait sur le processus qui transforme une femme ordinaire et réelle, avec ses défauts, en création imaginaire du romantisme masculin : en objet fétiche déréalisé.


A partir de 1983-84, le romantisme revint et la vie privée fut dépolitisée. La pop retourna à son sujet de toujours : la prédominance de soi comme seul lieu où la vie trouve un sens.


Souces / pour appronfondir :

Dick Hebdige, Subculture: The Meaning of Style (1979)
Simon Reynolds, interview de Morrissey (Melody Maker, mars 1988)
Simon Reynolds & Joy Press, The Sex Revolts (1995)
Simon Reynolds, Rip It Up and Start Again (2005)
Theo Cateforis, Are We Not New Wave? (2011)

Mise à jour 20/06/2017