19/10/2014

Racines du Postpunk

Lors d'une interview, Philippe Robert rappelle que ce qui survit du post-punk et de la no wave, c'est une manière de faire de la musique, de l'envisager. Un des points communs entre les courants traités dans son anthologie Post-Punk, No-Wave, Indus & Noise étant l'idée de la table rase, même impossible, puisqu'ils possèdent une histoire que l'on peut connecter à des avant-gardes passées ou demeurent ancrée dans la culture rock.


Dans le livre lui-même, il propose une large liste d'albums du patchwork d'influences composites des groupes postpunk. En voici un échantillon, bien loin d'être exhaustif, qui montre leur intérêt pour les musiques atypiques, radicales et progressistes:









18/10/2014

Racines de la New Wave

Dans le cadre de son émission, Michael Des Barres suggéra à Lori Majewski et Jonathan Bernstein, auteurs du livre Mad World: An Oral History of New Wave Artists and Songs That Defined the 1980s, de faire une préquelle en mettant en lumière les artistes dont l'influence a joué une part dans la construction du mouvement qu'ils célèbrent.



La présente note s'inspire de la liste de titres publiée sur le blog du duo en réponse à l'ex némésis d'Angus McGyver ; en la recentrant sur les 70's.

Voici donc quelques exemples plus ou moins fameux qui permirent aux plus pop des punks de penser des pratiques en opposition avec la old wave :











Mise à jour 08/10/2022

24/07/2014

Vaguement froid

Lors des années 2000, des groupes comme Interpol ou Editors mirent en évidence l'influence et la grande popularité d'un certain esthétisme sonore et visuel post-punk qui s'était construit autour de Joy Division et le son Factory/Hannett, Echo & The Bunnymen, The Sound ou encore Comsat Angels.


Ce son du nord de l'Angleterre à l'aube des 80s était enraciné dans l'ouverture sonique de l'époque, mais penchait vers le côté le plus sombre et existentialiste du post-punk. Voir cette description de Simon Reynolds : des cieux dégagés et froids, impies et gris ardoise ; rock purifié par le punk, mais préparé à se risquer de nouveau à la grandeur ; des jeunes gens en manteau, le monde sur leurs épaules.





Il ne s'agit pas toujours ici de postpunk dans le genre des expérimentations de Londres, Sheffield ou Leeds : messthétisme, bruitisme synthétique indus, avant-funk ou dub apocalyptique. Mais plutôt d'un postpunk basé sur des guitares mélodiques et exaltantes, préférant la poésie à la politique, les Velvets et les Doors aux musiques noires. 

Certains commentateurs postérieurs ont qualifié ce climat d' « obscure post-punk » ou « depressive post-punk ». En France, c'est le terme « cold wave » qui a été le plus utilisé, dans un sens bien éloigné de la new musick. Pour A.S. Van Dorston, les plus grands groupes post-punk que vous n'avez jamais entendus se trouvent parmi les suiveurs de cette humeur nocturne et intense, incarnation originale de la "darkwave" : Modern Eon, The Opposition, Sad Lovers & Giants, The Stockholm Monsters, …



Très rapidement, ce versant du postpunk, plein d'overdubs de guitares, d'éclairs de synthés et de brumes atmosphériques évolua dans un large spectre de styles, du gros rock héroïque à l'indiepop plaintive. 



Son approche texturée se retrouva dans de nombreux paysages sonores éthérés et rêveurs, dans la sensibilité goth-lite façon 4AD ou au sein du continuum dreampop shoegaze postrock.


Le succès de certaines de ces formations post-Joy Division consolida fortement une conception romantique du post-punk. Dans Génération ExtrêmeFrédéric Thébault résume assez justement le récit idéaliste qui en découla : après avoir trop crié sans le moindre résultat, il ne reste plus aux punks qu'à pleurer sur leur triste sort.

Mise à jour 21/12/2021

19/07/2014

Froidement vague

A la fin 1977, l'hebdomadaire Sounds tenta de regrouper les nouvelles idées musicales de l'époque dans un dossier courant sur deux semaines intitulé « new musick ». Les interviews et articles se focalisèrent sur ce qui sera plus tard connu sous le nom de « industrial » ou « postpunk ».

Jon Savage, Vivien Goldman et Sandy Robertson y promurent les déconstructions musicales ouvertement expérimentales et radicales de groupes comme Devo, Throbbing Gristle, Pere Ubu, Siouxsie & The Banshees, The Slits et Wire.

Dans son introduction/manifeste, Savage présenta la new musick comme un antidote à la stagnation du punk. Il y vit des manœuvres post-punk décisives qui allait bien plus loin que les racines garage restreintes du punk : textures subliminales, son sensurround, grattements urbains, bruit blanc contrôlé et percussions massivement accentuées.


Le premier numéro (26 novembre 1977) avec en couverture Kraftwerk fut sous-titré « the cold wave » du fait des sonorités frisquettes des allemands. DJ Food détaille un peu plus ici le contenu de ce numéro dont voici la bande son :






Ce versant industriel et dystopique du post-punk, cette assimilation de l'électronique dans la pop, se poursuivirent ensuite chez des jeunes punks préférant triturer des synthés, des magnétophones ou des boites-à-rythmes rudimentaires : The Normal, Cabaret Voltaire, Human League et la scène de Sheffield. Les vagues indus suivantes prirent ensuite le relais, avec leurs étendues bruitistes abstraites et leurs rythmes métronomiques teutonisants.


Dans le second numéro (3 décembre 1977), Vivien Goldman fit de Siouxsie Sioux la tête de file de cette vague froide, « the ice queen » du fait de son attitude individualiste et froide. Les Banshees (membres certifiés de l'avant-garde de la new wave) n'étaient alors encore qu'un groupe de scène. Leur première peel session sera diffusée deux jours plus tard.

Cette posture distanciée séduisit entre autres Yves Adrien de Rock'n'Folk qui la cristallisa dans ses articles sur l'after-punk, ainsi que dans son roman NovöVision. Son influence pourrait expliquer l'habituelle perception francophone du post-punk comme une musak froide pour branchés, et non comme une musique pop d'avant-garde.



Mise à jour 09/01/2017

19/06/2014

Amour dans l'après-punk

L'une des thématiques les plus récurrentes de toute la pop music est l'amour et la romance. Comme le soulignait Simon Reynolds en 1988 : au cours du XX° siècle, l'idée motrice du romantisme, le rêve d'un amour rédempteur qui résoud tout et résorbe les différences, a enlevé à la religion le titre d'opium du peuple.


Nombreux groupes punks luttèrent pour exposer les bases idéologiques de la société et défièrent textuellement, par l'absurde les conventions de l'amour, de la beauté et de l'aisance. Certains plus radicaux dirigèrent leur énergie pour démanteler les constructions conventionnelles de la féminité et de la masculinité, des rapports sociaux entre les sexes.

L'amour et la sexualité ne sortirent pas indemnes de la démystification brutale qui fut au cœur du punk. Des chansons comme Orgasm Addict (hymne à la masturbation des Buzzcocks) ou Love Lies Limp (ode à l'impuissance d'Alternative TV) essayèrent de traiter le désir d'une façon qui évitait le jeu de rôle romantique de la lovesong traditionnelle. Préférant l'authenticité de la vérité, même lorsque celle-ci est disgracieuse et pathétique.



Plusieurs musiciens new wave évoquèrent la nervosité comme témoignage des tensions physiques de la classe moyenne (blanche), et plus particulièrement son focus obsessionnel sur le contrôle du corps et la discipline émotionnelle. Dans Uncontrolable Urge de Devo, la fameuse sexualité débridée du rock y devient une pulsion aussi absurde et humiliante qu'un tic nerveux.


Les postpunks les plus théoriques œuvrèrent pour un rêve d'égalité dans des relations débarrassées des voiles de la fausse conscience romantique. Ils constituèrent une sorte d'avant-garde au sein d'un mouvement anti-rockiste qui s'opposait au traditionalisme de contenu et de forme qui caractérisait à la fois le rock (avec son hétéro-sexisme) et la pop (avec sa dépendance aux illusions romantiques). Avec Damaged Goods, Gang of Four empruntait le vocabulaire du commerce et de l'industrie pour décrire, avec une sinistre et troublante lucidité, les conséquences d'une rupture en termes de remboursement et de coûts émotionnels.


En plein débat postpunk, l'idée de politique personnelle était sur toutes les lèvres. Les concepts critiques clés furent alors « the personal is political » et « radical content warrants and demands radical forms », comme chez des groupes comme les Raincoats ou Au Pairs. Dans Come Again, ces derniers dépeignirent un couple égalitariste et non-sexiste tentant d'atteindre la parité dans la jouissance et la simulation.


Avec la new pop, l'attention se porta davantage sur le langage public de l'amour et sur l'iconographie pop. Des groupes comme ABC et Scritti Politti, avec leur déconstruction du discours amoureux et leur ambiguïté, furent les pionniers d'une stratégie de déploiement ironique des clichés romantiques, qui furent simultanément célébrés et décortiqués. Derrière ses airs de ballade mignonnette, All of My Heart était vivifiant par son refus de toute sensiblerie et du décorum superficiel qui va avec.



Dans The Word Girl, Green Gartside s'interrogeait sur le processus qui transforme une femme ordinaire et réelle, avec ses défauts, en création imaginaire du romantisme masculin : en objet fétiche déréalisé.


A partir de 1983-84, le romantisme revint et la vie privée fut dépolitisée. La pop retourna à son sujet de toujours : la prédominance de soi comme seul lieu où la vie trouve un sens.


Souces / pour appronfondir :

Dick Hebdige, Subculture: The Meaning of Style (1979)
Simon Reynolds, interview de Morrissey (Melody Maker, mars 1988)
Simon Reynolds & Joy Press, The Sex Revolts (1995)
Simon Reynolds, Rip It Up and Start Again (2005)
Theo Cateforis, Are We Not New Wave? (2011)

Mise à jour 20/06/2017

31/05/2014

Débats FR

Débat sur la new wave dans l'émission Ce Soir ou Jamais avec Jean Rouzaud et Christophe Bourseiller (11 février 2008).




Pour ceux qui seraient passés à côté, voici les numéros de l'Opéra des Dieux (émission littéraire et musicale de Radio Campus) sur :
- Rip It Up & Start Again de Simon Reynolds (2007)

- New Wave de Jean Rouzaud (2007)

- Génération Chaos de Christophe Bourseiller (2008)
Mise à jour 06/06/2015
La Théorie du Genre (Le Mouv) sur le Post Punk (16 août 2014)

11/05/2014

Documentaires UK

Quelques documentaires diffusés depuis quelques années sur BBC Four.

The New Romantics: A Fine Romance
Sharon Walker (2001)

If It Ain't Stiff, It Ain't Worth A F**k: The Stiff Records Story
Ben Whalley (2006)


Factory: From Joy Division to Happy Mondays
Chris Rodley (2007)


Do It Yourself: The Story of Rough Trade
Chris Wilson (2009)


Synth Britannia
Ben Whalley (2009)


Punk Britannia : Post-Punk 1978-1981
Ben Whalley (2012)



Ajoutons à cela trois épisodes de la fameuse série Rock Family Trees faite pour BBC 2, d'après Pete Frame et raconté par John Peel.

New York Punk
Francis Hanly (1995)

The New Merseybeat
Francis Hanly (1995)

Banshees & Other Creatures
Francis Hanly (1998)

19/04/2014

Messthetics

Manifeste de Scritti Politti joué lors de leur seconde Peel Session (20 juin 1979), nommant leur manière sciemment fracturée de faire de la musique.


Messthetics… it's all that we know
We know what we're doing
What we… know how it sounds
Yes, we know how it sounds

La première version de Scritti était un collectif d'avant-garde hautement conceptuel et politisé. Simon Reynolds rappelle que le groupe se débrouillait pour convaincre nombre de gens qu‘il savait vraiment ce qu'il faisait, ou tout du moins qu'il pensait de façon plus rigoureuse que n'importe qui aux problèmes cruciaux du monde d'alors.

Cet esthétisme du désordre, pensé et théorisé, témoigne de la lutte entre la volonté d'écrire des chansons et des mélodies, et le soupçon critique face à l'hégémonie des codes du rock et de la beat music.

Green Gartside raconte en interview récente pour Uncut (2005):
We were anti-rock, because rock was too solid, too strong, and too sure a sound. We wanted a music that wasn't strong, solid and sure, because we weren't strong, solid or sure.
A l'époque, il rapprocha son art-pop DIY de groupes comme les Raincoats, plus ou moins bordéliques, qui grattent et qui chutent (scratchy-collapsy) et ne masquant pas ses erreursEn effet, dans l’urgence et l’énergie de la fin des 70s, ce son était pratiquement devenu un sous-genre postpunk.


18/03/2014

Britain's postpunk pop avant-garde

Retour sur l'article considéré comme l'origine de la définition usuelle du postpunk.

Au début des années 80, Greil Marcus fut envoyé à Notting Hill par Rolling Stone pour un rapport sur Rough Trade. Il en revint avec un article publié dans le numéro du 24 juillet 1980, annoncé en couverture par « England reinvents rock & roll (and it's better than ever) ».


It's Fab, It's Passionate,
It's Wild, It's Intelligent!
It's the Hot New Sound of England Today!


L'article traite de ce que Marcus nomme alors l'avant-garde pop postpunk britannique, dont le label indépendant était le centre vital.

Certaines des nouvelles musiques venues d'Angleterre, particulièrement les premiers albums de Essential Logic, The Raincoats et Gang of Four, furent, pour lui, remarquables par la tension, l'humour et le sens de la parodie, simplement uniques dans la musique populaire contemporaine. Ces enregistrements lui apparurent comme stimulés par le désir de communiquer des versions de faits sociaux partagés et pliés pour tester le « rock'n'roll » en tant que musique, culture et commerce, tout en maintenant une certaine distance méfiante.

Le journaliste y avoua également n'avoir jamais rencontré de musiciens interrogeant avec autant d'intensité la pop music ; avec une passion désorientée et une intelligence critique non déguisée assez forte pour pousser de nouveaux publics à s'y reconnaître :  idéalement, des publics suffisamment passionnés et critiques pour permettre aux musiciens de continuer à questionner leur travail.

Davantage qu'avec des scènes plus réalistes, comme le revival ska de 2-tone, la vie y est ici sauvée de la trivialité de l’existence quotidienne dans laquelle tout est seulement personnel et rien n'est mis en relation.

Il glissa également une mise en garde quant au principal risque encouru par Rough Trade : posture arty, solipsisme, supériorité morale, snobisme – l'impasse typique d'une avant-garde trop confortablement installée dans le concept.





L'article est disponible dans le recueil In the Fascist Bathroom, Punk in Pop Music, 1977-1992.

Mise à jour 24/07/2016

03/03/2014

Système D

Le concept de DIY n'est pas vraiment une idée nouvelle. Les antécédents notables remontent au garage, au mod, mais surtout au skiffle. Issu d'un revival jazz à la fin des années 50, ce mouvement populaire était largement composé d'amateurs jouant sur des instruments bricolés ou improvisés, et fut le détonateur de l'explosion de la beat music.

Le punk réactiva cette attitude et conviction que tout le monde peut faire de la musique.


Sorti en janvier 77 sur leur propre label, Spiral Scratch des Buzzocks fut probablement l'un des disques les plus importants du punk. Dans son sillage apparurent rapidement des centaines de groupes qui adoptèrent la tactique « do it yourself / release it youself ». Les Desperate Bicycles en étaient les plus fervents évangélistes, avec un discours proche de l'opposition situationniste au spectacle.


Leurs notes de pochettes participèrent à la démystification du processus de production, et leur cri de ralliement « It was easy, it was cheap : go and do it! » fédéra des régiments disparates de formation DIY, dont nombreuses figures de proue du postpunk : Swell Maps, Scritti Politti, Young Marble Giants ou des pionniers comme Thomas Leer ou Daniel Miller …


L'idée-clé du DIY dans son contexte original était clairement politique, textuellement et factuellement. Il se présentait comme un impératif moral, alors permis matériellement par l'émergence de technologies plus abordables. Au delà de ces avant-gardes se trouve un vaste arrière-pays de DIY britannique ; tout un underground fait de pochettes photocopiées, étiquettes tamponnées, sifflements de 2-pistes saturés, bourdonnement de bandes magnétiques détériorées. Ses hérauts se nomment O Level, Scrotum Poles, Instant Automatons, Thin Yoghurts, Danny & The Dressmakers ou encore The Homosexuals.

Depuis quelques années maintenant des archivistes creusent dans ce secteur et publient une grande quantité de compilations, malgré le nombre parfois très limité des pressages originaux et la nature périssable des sources d'enregistrement, parfois sorties uniquement sur cassette. L'imposante série de bootlegs Messthetics proposé par Hyped to Death en est la porte d'entrée principale.


Chuck Warner, fondateur et responsable du catalogue, insiste sur la distinction taxonomique entre postpunk et DIY pour des raisons plus pratiques qu'historiques. Alors que le postpunk se présente comme une différenciation et un dépassement du punk, le DIY se définit par la réduction des coûts de production pour enregistrer le moins cher et le plus vite possible. Le terme lui permet aussi d'éliminer l'association du postpunk avec un gros budget, une production ampoulée, des égos pesants, et ce truc affreux qu'est le goth (sic).

Tous ces compilations ne correspondent pas vraiment au messthetisme au sens Scrit', un très grand nombre de ces groupes penchent plutôt pour une punk-pop joyeusement décousue.







Souces / pour appronfondir :

Simon Reynolds, An update on DIY
Bob Stanley, Birth of the Uncool