21/10/2025

Modernisme pop, 2

Poursuivons sur le postpunk et le modernisme populaire.

La présente note se base largement sur la passionnante discussion entre Gavin Butt, Kodwo Eshun et Mark Fisher rapportée dans l'introduction de Post-Punk Then and Now (2016).

Mark Fisher y observa que de nombreux morceaux postpunk confrontent l'auditeur d'aujourd'hui à quelque chose qui semble étrangement contemporain. Les compositions et les productions ne sonnant pas vraiment datées.

Voici quelques exemples extraits de la playlist accompagnant Futuromania (2024) de Simon Reynolds :

Ironiquement, beaucoup de ces morceaux pouvaient même sembler plus obsolète en 1983 qu’aujourd’hui, car l'aplatissement du temps culturel n'est advenu que bien plus récemment.

Le principe derrière le postpunk était l'idée moderniste populaire de proscrire les répétitions, la réutilisation de formes devenus kitsch. Guidé par un principe de différence et d’auto-annulation ; une orientation constante vers le nouveau, et une hostilité envers l’ancien, le déjà existant, le familier.

Le modernisme populaire permit de re-imaginer et re-investir une sphère publique et y forger des visions alternatives. Et l'insatisfaction quant au confinement aux marges fut une composante cruciale du postpunk (ignorée par ses ramifications subculturelles).

Dans ce contexte de Guerre Froide et de contre-révolution néolibérale, le sentiment d’urgence de l'après-punk avait produit un impératif existentiel : ne pas perdre de temps, car ce dernier pourrait bientôt venir à manquer.

Peut-être sommes nous toujours autant intéressés musicalement, théoriquement et philosophiquement par le postpunk en 2025 simplement parce que les conditions politiques actuelles sont similaires.

Même si les conditions matérielles du modernisme populaire ont été privatisées et bloquées.

Terminons sur une remarque très intéressante de Kodwo Eshun :

Autour de la sortie de Rip It Up & Start Again (2005), la blogosphère incluant k-punk, Blissblog, Woebot, etc, analysait le postpunk avec une attention et une ambition non observées depuis les 70s. Cette discussion n'était pas nostalgique mais urgente et nécessaire. L'écriture y était en fait plus excitante que le neo-postpunk de l'époque.

Sources / pour aller plus loin :

Germán Cano, Mark Fisher: the culture behind the post-punk "Portal" (2023)
Simon Reynolds, Où sont les blogs d'antan ? (2023)

16/10/2025

Folkement postpunk

Petite note sur quelques influences folk du postpunk.

La dialectique new wave vs old wave pourrait laisser croire que les musiciens de l'après-punk rejetèrent les artistes folks des années 60 et 70. Pourtant à l'instar de l'art-rock pré-punk, le côté progressif du british folk revival fut intégré par le postpunk pour expérimenter de nouvelles modernités ou des gestes anti-rock.

Voici une petite sélection de folkeux britanniques cités par des musiciens aussi divers que Vini Reilly, Green Gartside ou Robert Smith :

 

Bien que le postpunk ait toujours préféré le rad' au trad', le folk britannique n'a pas été ici perçu comme une vieillerie vers laquelle revenir mais plutôt comme une praxis du peuple. De ce fait, le folk n'apparait non pas figé mais changeant, évoluant dans ses formes, ses instruments et ses arrangements pour se mêler aux musiques pop (cf. Allan Moore, The End of the Revival: the folk aesthetic and its 'mutation', 2011).

 
 

Certains chansonniers nord-américains ont également été d'une grande influence au début des années 80 :

 

A noter qu'une tendance post-punk plus tardive, le neofolk, se réclama explicitement du folk. Mais elle n'adopta ce dernier que pour son capital symbolique réactionnaire : ancienneté, fatalisme, mémoire mythique voire identité européenne. Plus un « classicisme élitiste » que du « modernisme populaire ».

Quant au folk-punk, c'est encore un autre sujet.

Sources / pour aller plus loin

Mike Connolly & Andy Dunn, Folk Britannia (2006)
Duncan Keith Park, 1960's British Folk, Long since forgotten (2015)

06/10/2025

Xénomania postpunk

Parlons de certaines influences du postpunk, mais du côté des musiques extra-européennes et étrangères à l'industrie culturelle.

Depuis son Xenomania: Nothing is Foreign in an Internet Age (2011), Simon Reynolds a travaillé le concept de « xénomania » à propos du nouvel exotisme et désir des hipsters de l'ère Internet pour toutes choses post-géographiquement éloignées.

Bien évidemment, comme le journaliste le précisera par la suite, cet appétit pour l'étranger est loin d'être un phénomène récent. Dans les années 1970, la xénomania n'était pas rare chez de futures forces motrices postpunk : This Heat, David Toop, Jah Wobble, Malcolm McLaren ; ou encore David Byrne, Arto Lindsay et Mark Cunningham.

Matériellement, ce boom exotique fut permis par des labels spécialisés en ethnomusicologie comme Folkways, Lyrichord, Nonesuch, Ocora et la collection de l’UNESCO.

Rapporté dans Tales of Toopographic oceans (2012), David Toop déplore que la territorialisation équivaut en matière de musique à un « tribalisme du goût » (purisme, patriotisme du genre, etc) ; l'exotisme étant alors une stratégie pour s’échapper de la vie-monde familière, vers l'altérité.

Ce fut le cas à l'ère post-punk où nombreux musiciens adoptèrent des rythmes, des mélodies et des textures instrumentales issus de ce qui sera plus tard tristement étiqueté « world music ».

Sur plusieurs décennies, l'exotica a depuis montré que les différents formes d'exotismes étaient un revers de l'impérialisme : extraire des musiques oubliées ou libres, avant de les reconditionner pour des publics occidentaux.

De nos jours où Internet semble être moins un espace dédiée à une communication propre et parfaitement opérationnelle (cyberspace) qu'une décharge saturée et encombrée (junkspace), la xénomania contemporaine semble être une réponse à la surabondance de stimuli nouveaux se déversant dans les patries colonisatrices.

Et non plus une source de modernisme.

Sources / pour aller plus loin :

Simon Reynolds, Pure fusion: multiculture versus monoculture (2000)
Robin James, Though on "Xenomania" or Orientialism 2.0 (2011)
Simon Reynolds, Futuromania: Electronic Dreams, Desiring Machines and Tomorrow’s Music Today (2024)