14/12/2016

Froidement vague, 2

Cette note revient sur la cold wave dans son sens de 1977, au regard de la compilation Close To The Noise Floor: Formative UK Electronica 1975-1984, sortie en avril dernier chez Cherry Red.



L’incursion pré-punk des synthétiseurs dans le paysage sonore britannique revient au BBC Radiophonic Workshop pour Doctor Who, à Walter Carlos pour Clockwork Orange, puis aux imports germaniques de Tangerine Dream et Kraftwerk.

A l'inverse de la guitare, la phase primitiviste du synthétiseur vint après ses débuts sophistiqués. En effet, la démocratisation de l'électronique coïncida avec le retour conscient du rock à ses basiques juvéniles sous la forme du punk. Subitement, le synthé se retrouva alors en compétition avec la guitare pour être le vrai instrument du do-it-yourself.

La scène britannique fut catalysée par une demi douzaine de locaux indépendants les uns des autres qui sortirent leurs premiers singles en quelque mois au milieu de 1978.




Leur impact combiné fut tout autant galvanisant que celui du Spiral Scratch des Buzzcocks pour les groupes DIY à guitare l'année précédente.

Passionnément désordonnés, ces débuts de l'electronica britannique furent plus que diversifiés : electro-punk, industrial, synthpop, dark ambient, ...






La plupart des ces productions fut cadrée par deux prohibitions postpunk : l'objectif de sonner le moins rock'n'roll et américain que possible ; et la rupture avec les conventions de la musique synthétique établies dans la première moitié des 70's.




Mais bien que l'ambiance d'aliénation urbaine eut bien plus en commun avec le punk et la new wave, qu'avec la ramification clinquante que sera ensuite le new romanticism, cette vague froide passa pour beaucoup comme une tendance branchée et trop arty.

cf My Perfect Cousin de The Undertones :
«  His mother bought him a synthesiser, got The Human League in to advise her, now he’s making lots of noise, playing along with the art-school boys… »
Sources :

Ben Whalley, Synth britannia (2009)
Simon Reynolds, Close to the noise floor (2016)
Oregano Rathbone, Together in electric dreams (2016)

04/11/2016

Repetition

Manifeste de The Fall sur leur premier EP Bingo-Master Break-Out (11 août 1978) exposant leur volonté de produire une musique intentionnellement crue et répétitive.


« We dig repetition in the music and we're never going to lose it » : un slogan habile qui capture une partie clé de l'esthétisme du groupe de Mark E. Smith, refusant et méprisant la « fancy music » sur-produite de l'époque.

Non sans humour, ce qui était en train de devenir leur cahier des charges détourne l'expression des « three R's » bien connus des écoliers britanniques « Reading, 'Riting, and 'Rithmetic » en « Repetition Repetition Repetition »

Dans la suite immédiate du punk, les groupes cherchèrent des façons d'étendre son fondamentalisme sonique sans gonfler vers l'indulgence du prog, et le krautrock fournit alors une foule d'indicateurs pour l'avant-garde postpunk. Can fut une source particulièrement fertile d'idées rythmiques, non seulement pour les formations tournés vers le dub comme PiL ou The Pop Group, mais aussi pour The Fall. Particulièrement la tension sombre d'Ege Bamyasi et les hypno-grooves chamanistes de Tago Mago,

Repetition exprima une version punk du credo d'auto-restriction de Holger Czukay dans les mots et le son. Ce dernier avait déclaré :
« Repetition is like a machine... If you can get aware of the life of a machine then you are definitely a master ... [machines] have a heart and soul... they are living beings' »
Un hommage explicite au groupe de Cologne datant de 1985 :

18/09/2016

Hey Hey, My My

Hymne rock de Neil Young sorti sur l'album live Rust Never Sleeps (juillet 1979), faisant le pont entre la contre-culture post-hippie et la nouvelle vague.

Cette chanson évoquant la mort d'Elvis Presley, l'extinction de Johnny Rotten et l'entropie du rock'n'roll en général, y est présentée sous deux interprétations antagonistes, censées refléter l'écartèlement du Loner, et son propre déphasage par rapport à la musique de cette fin de décennie :
- My My, Hey Hey (Out of the Blue) une ballade acoustique et placide, dont l'accompagnement minimaliste semble faire le deuil du rock.
- Hey Hey, My My (Into the Black) un hymne électrique et saturé, offert aux générations grunge futures

En 1977, captivé par le punk et la new wave, Neil Young s'était rapproché de Devo à qui il proposa une participation à son film Human Highway. Un jam sur une de ses nouvelles chansons fut enregistrée, ce qui donna une première version du titre, futuriste et anguleuse.


En contraste net avec ses pairs vieillissant qui se sont généralement sentis rejetés ou menacés par le punk, Neil Young y vit, une régénération du rock’n'roll, le retour d'une pratique qui ne peut être répétée ou s’inscrire dans la durée sans évoluer sous peine de disparaître.

Dans une interview pour Rolling Stones (1979) :
«  Kids were tired of the rock stars and the limousines and the abusing of stage privileges as stars.There was new music the kids were listening to. As soon as I heard my contemporaries saying, 'God, what the fuck is this . . . This is going to be over in three months,' I knew it was a sure sign right there that they're going to bite it if they don't watch out. And a lot of them are biting it this year. People are not going to come back to see the same thing over and over again. It's got to change. It's the snake that eats itself. Punk music, New Wave. You call it what you want. It's rock & roll to me, it's still the basis of what's going on. »
Témoin de sa résistance à la nostalgie, la chanson traite du choix entre produire toujours la même musique jusqu'à la corrosion, et risquer une rupture radicale, comme le fit John Lydon qui abandonna son alter ego Johnny Rotten. Désincarné, le personnage bascula dans la mémoire collective, parmi les mythes du rock et les slogans comme « rock’n’roll can never die » ou encore « rock'n'roll is here to stay » de Danny & The Juniors (1958)


Le fameux « it's better to burn out than to fade away » se retrouva, entre autre, dans la bouche du Kurgan et la note laissée par Kurt Cobain.

Fun fact : la formule titre « rust never sleeps » suggérée par Mark Mothersbaugh, provient du slogan d'un marque de peinture protectrice.



Sources :

Greil Marcus, Neil Young Invents Folk-Rock (août 1979)
Alexandre François, My My, Hey Hey (février 2014)

28/08/2016

Reprises

Dans Lipstick Traces, Greil Marcus revient sur la double-reprise Johnny B Goode / Road Runner des Sex Pistols qui sonne, pour lui, comme une répétition de l'idée même du groupe. Nous pouvons y entendre une tentative pour atteindre la voix la plus primitive du rock'n'roll dans le but de détruire cette suffisance auto parodique qu'il était devenu ; ainsi qu'une réinvention de la musique à partir de ses sources.


Les reprises proposées par les groupes new wave et postpunk se placèrent finalement entre ces deux pôles : des sacrilèges formels avec une position esthétique forte ; des remises à jour de tubes passés, réinterprétés avec enthousiasme dans un nouveau paradigme.

Quelques exemples, par ordre d'apparition :



  







14/07/2016

H.I.P.H.O.P.

Note sur les échanges entre les débuts de hip hop et l'après-punk.


New York dans les 70’s avait été en pleine ébullition musicale, et deux genres aussi contraires que complémentaires s'y épanouirent : le disco et le punk.

A l'instar du punk, les origines du hip hop relèvent d'une éthique DIY. Cette posture d'autosuffisance a toujours vécu dans cette street culture : angoisse contestataire, hostilité contre le système, recherche d’indépendance, et pour la plupart, agression contre le consumérisme de masse.

Dès la première vague de break music, les MCs choisirent d'aborder les thèmes de la dislocation sociale et du racisme institutionnel.


Par la suite, le rap emprunta progressivement la voie du réalisme social et de la chronique du ghetto.


Même si ses racines sont en partie caribéennes, le hip hop est une évolution des musiques afro-américaines, lesquelles demeurent la source première des beats, samples ou simplement de l'inspiration. Les productions des DJs partageaient avec le postpunk de nombreuses influences fondamentales, l'ouverture par le métissage et une approche horizontale de la culture. Musicalement, cette parenté se retrouvent dans l’accent lourd sur le dub de la section rythmique, ou encore dans la mise en œuvre de synthétiseurs et l'échantillonnage.

Planet Rock d'Afrika Bambaataa & the Soulsonic Force (17 avril 1982) réalisa à lui seul le fantasme postpunk de rejet de l'Amérique blanche en alliant parfaitement musique noire et nouveaux sons européens. Une vision utopique d'un groove au delà de la race, de la classe, des conditions sociales, géographiques et culturelles.


Dès lors, l'electrofunk prit part à l'engouement de l'époque pour les sons futuristes des clubs post-disco et de la synth pop, et s'entoura d'un aura de science-fiction.


Au changement de décennie, un important échange culturel se mit en place entre les b-boys du South Bronx et la bohème new wave du Downtown Manhattan. Lors de cette période brève, de nombreux murs de séparation entre les genres tombèrent, et les musiques devinrent familières pour leurs deux publics.

A leur début, les artistes hip hop rencontrèrent davantage de soutien auprès de leurs contemporains blancs que de leurs aînés noirs. Et nombreux musiciens pop, de part et d'autres de l'Atlantique, s'essayèrent à l'exercice.

Quelques exemples :
- Influence mutuelle et admiration exposée au grand jour par Blondie dans The Rapture (12 janvier 1981)
 
- Entrisme par Malcolm McClaren en équipe avec le World Famous Supreme Team (1982).
- Sollicitation de savoir faire en production, comme New Order et son Confusion (août 1983) enregistré avec Arthur Baker.
 
- Amalgame de formules de studio, édition de bandes et beats synthétiques par Art of Noise, considéré comme un groupe d'avant-garde en Europe et un groupe de dance à NYC (décembre 1983).

Retours d'ascenseur :
- The Clash traînant avec Futura 2000, ils se retrouvèrent en featuring (1983).
- Des pionniers comme Cold Crush Brothers sortirent des morceaux hommage (1983).
- Afrika Bambaataa invita John Lydon pour Time Zone (décembre 1984).

Pour finir une interview avec Fab 5 Freddy, enregistrée en de 2005, sur la fusion des cultures :


Sources / pour approfondir

Lynden Barber; State of the Art (1984)
Jeff Chang, Can’t Stop Won’t Stop (2005)

30/03/2016

Punky Reggae Party

Chanson de Bob Marley célébrant le croisement culturel entre le punk anglais et le reggae en 1977


New wave, new craze

The Wailers will be there
The Dammed, The Jam, The Clash
Maytals will be there
Dr. Feelgood too
No boring all farts will be there


Lee "Scratch" Perry passa par Londres lors de l'été 1977. Il y constata un foisonnement musical qui lui inspira cette chanson qu'il demanda à Bob Marley d'enregistrer. Sur ce morceau et ses affinités avec la scène punk britannique, le chanteur aurait dit :
In a way, me like see them safety pins and t'ings? Me no like do it myself y'understand, but me like see a man can suffer pain without crying
La musique jamaïcaine fut pour beaucoup de jeunes groupes de l'époque ce que le r'n'b fut pour les groupes beat des 60's. Exprimant une projection ou une identification, nombreux musiciens new wave semblaient alors avancer avec un skank ou sur un un riddim caribéen.








Dick Hebdige interpréta le punk – du moins sa version britannique – comme un désir de la jeunesse pour une identité tribale dissidente. Et c'est précisément la recherche d'une musique qui reflète de façon plus adéquate leur sentiment de frustration et d'oppression, qui amena le punk à se rapprocher du reggae (et des rastas) perçu comme porteur de l'exigence de conviction et de l'énergie politique qui manquait à la musique blanche de l'époque.

La fusion des genres se fit plus profonde à l'interface postpunk / roots’n’dub . Le reggae roots proposait une bande son idéale pour le militantisme égalitariste et pacifiste, anti-capitaliste et anti-impérialiste. Le dub apporta l'esthétisme de la soustraction, le jeu sur les sons et l'utilisation du studio comme instrument.


Le mouvement 2-Tone, quant à lui, regarda vers la phase la plus précoce de la pop jamaïcaine, le ska 60s et le rocksteady, plus orientée singles.

17/01/2016

Bowie(s)

Note sur les relations entre David Bowie, perpétuel ré-inventeur de l'univers pop, et les musiques de l'après-punk.


Sa carrière marquée par de nombreux changements popularisa l'exigence d'un constant renouvellement. Ses ambitions trans-musicales et sa curiosité pour les avant-gardes furent d'une influence capitale pour de nombreux courants à la recherche de ruptures avec les académismes du rock.


Le méta-message de David Bowie fut souvent un message d’évasion : de sa classe sociale, de son sexe, de son identité personnelle, de tout engagement trop évident. Quand la crise contemporaine était abordée, elle l’était de façon oblique, à travers la fantasmagorie de la science-fiction ou d’un univers mort peuplé d’humanoïdes, à la fois célébré et abhorré.


Le punk et la new wave incarnèrent les phases les plus récentes de cette dynamique, où l’aliénation assumait des caractéristiques sensibles et tangibles. Le new wave s'intéressa particulièrement à son enthousiasme technophile et au réalisme magique de ses récits en collage.

Au même moment, David Bowie enregistrait à Berlin au côté de Brian Eno une série d'albums où il s'éloigna de ses influences américaines pour se rapprocher des expérimentations européennes : Low, 'Heroes', Lodger, ainsi que The Idiot d'Iggy Pop. La riche palette de textures accordant aux synthétiseurs un rôle important, le son froid et maîtrisé modelé sur les rythmes motorik et les atmosphères instrumentales crépusculaires annoncèrent un art-rock velvetien d'un genre particulier, moderne, urbain et tourné vers l'avenir.

Ce nouvel européanisme de Bowie et Eno fit écho à la position postpunk selon laquelle les américanismes étaient les éléments musicaux contre lesquels il était nécessaire de s'opposer pour renouveler le rock.


Le moment précédent la trilogie berlinoise dans la trajectoire stylistique de David Bowie, sa phase plastic soul / white funk avec Young Americans et Station to Station, influença énormément l'évolution suivante du postpunk qui glissait vers la new pop.


Le passage du postpunk à la new pop, d'un esprit « rock » à un esprit « pop », n'allait pas sans rappeler le glam avec lequel David Bowie et Roxy Music étaient parvenus à combler l'écart entre la pop dansante alimentée par les singles et le rock arty adapté au format album. La synthèse créatrice de Bowie, avec ses constructions d'identité par chapardage d'éléments hétérogènes, pouvait déjà y être qualifiée de « post-moderne » bien avant que le terme ne sorte du cadre de la théorie de l’art. 

Alors que sa garde-robe et ses nombreux personnages orientaient les looks « grandeur et décadence » des New Romantics, quelque part entre aristocrates, androgynes et extraterrestres, David Bowie lui-même réapparut pour revendiquer sa place légitime à la tête de la new pop, adoptant un nouveau personnage aux cheveux blonds, bronzé et en pleine santé pour coller au pop-funk né de sa collaboration avec Nile Rodgers.


Sources : cuts-up de livres et articles de Dick Hebdige, Simon Reynolds et John Harris.