05/12/2015

Saxophone dans l'après-punk

Cette note s’adresse en particulier à tous ceux pour qui cet instrument renvoie quasi-exclusivement à Careless Whisper, Joe le Taxi ou Run Away.



Plutôt associé au jazz et au rhythm'n'blues, le saxophone a été fréquemment présent dans l'histoire du rock et de la pop. Lors de la old wave, on le trouve sexy chez Pink Floyd, Supertramp ou Bruce Springsteen.

Le retour, avec le punk et la new wave, de formats plus énergiques et concis, permit de le réentendre sous sa forme la plus brute, pour des colorations aiguisées et urbaines. 



Parfois lugubres, conjurant une atmosphère mélancolique, ou encore cubistes, construites sur des riffs épileptiques free ; les onomatopées du sax explosèrent lors du postpunk et de la no wave.






Rapidement, les groupes dansant, de 2-Tone au mutant disco, utilisèrent ses vibrations pour remuer les foules.


Il est ensuite possible d'accuser la new pop, et sa préciosité, d'avoir incrusté l'image clichée d'un l'instrument sirupeux.

20/06/2015

New Wave maintenant

Livres et articles sont disponibles pour théoriser les démarches du postpunk et de la new pop, et tenter de les transposer à des pratiques musicales plus contemporaines. Pour la new wave, cet exercice est de loin beaucoup plus difficile : les divergences sémantiques entre les différents critiques ou historiens freinent lourdement le recoupement des sources. Il demeure un manque non négligeable d'écrits et d'analyses poussées du courant. Posons-nous tout de même sur ces questions : quels courants musicaux contemporains présentent une démarche analogue ?


En considérant la new wave comme la résultante de la rhétorique punk rejetant la old wave, le fait que cette dernière soit toujours vivante n'est pas un critère suffisant pour conférer à un quelconque revivalisme le même impact historique.


Où se trouve la forme actuelle d'un réalisme social tel que celui qui animait les observateurs de la new wave ?

Dans Missing links: Britpop traces 1970–1980 (2010), Andy Bennett tente de construire un continuum de narrations de la pop britannique. Il rappelle que dans les années 90, la britpop avait emprunté la porte ouverte par la new wave vers un esthétisme anglais hautement conscience de lui-même. Marquant ainsi un retour de cette tradition toute british qui mélange observation au vitriol de la vie quotidienne et mélancolie tragi-comique. A la différence que la new wave se voulait « moderne » alors que la britpop passe pour « rétrogressif » par sa tendance à fuir la nature multiraciale et technologique de la pop culture anglaise qui lui fut contemporaine, comme le rappel Simon Reynolds dans Bring The Noise (2007).


La décennie suivante des groupes post-britpop comme Kaiser Chiefs et surtout les Arctic Monkeys se rebranchèrent sur la puissance et la fluidité rythmique de la power pop, c'est-à-dire le versant des sixties que les groupes indie préfèrent ignorer au profit des guitares mélodiques. Les textes d'Alex Turner relevèrent de la new wave (des chansons d'amour et de désir avec du mordant et un brin d'amertume ; du réalisme social, de l'observation), et les débuts du groupe auraient aisément pu être rangés en 1979 aux côtés d'Elvis Costello, The Specials, Ian Dury et The Jam.


Dans les années 2000, des jeunes MC trouvèrent une alternative à la stagnation du britrap au moyen de la dance music, plus spécifiquement du UK garage. Pour Simon Reynolds, toujours dans Bring The Noise, Mike Skinner apporta à ce « garage rap » un vrai contenu, à côté duquel les autres rappers paraissent monothématiques : des observations fines, des contes pessimistes de la vie de tous les jours, rappelant Terry Hall et John Cooper Clark. Un appel à l'ambition dans l'esthétique et le contenu, se moquant des américanismes et soulignant son englishness par sa langue et sa musique.


Le punk-hop minimaliste des Sleaford Mods peut être évalué comme le nouveau moment de cette généalogie du réalisme social britannique. Avec un accent qui manque de glamour urbain, de lyrisme chantant et de romantisme rustique ; un des plus mal aimés du Royaume-Uni, dixit le critique philosophe Mark FisherEt avec l'urgence de The Clash et de The Jam traitée via le Wu-Tang Clan, Jason Williamson et Andrew Fearn articulent un regard sans compromis sur ces temps d'austérité.


Mise à jour 08/09/2020

13/06/2015

Réalisme Social

L'explosion punk / new wave peut être comprise comme une réaction réaliste au romantisme dominant de la pop moderne depuis la fin des années 60 et durant toutes les années 70.



Les musiciens abordent la réalité sociale d'une façon plus directe et non enjolivée, et désacralisèrent le monde afin de se défaire des modèles de récit et de subjectivité hérités du passé. 

A la fin des années 50 et dans les années 60, le courant culturel Kitchen Sink Realism avait permis l'éclosion d'œuvres naturalistes qui dépeignirent la vie prolétarienne anglaise avec un réalisme social brutal. 

La new wave britannique en fut beaucoup une interprétation pop : exploration de la vie ordinaire ; symbolisme et imagerie populaire ; bons mots et humour laconique ; tragédies et triomphes banals du quotidien ; petites histoires courtes de la banlieue.






La new wave enveloppa rapidement une dualité qui se révélera fatale par la suite : d'un côté,  la promotion de la sincérité et cet esthétique du réalisme social ; de l'autre, la préférence pour la représentation dans une logique expérimentale, envisageant la quête de l'authenticité comme un processus plutôt que comme la recherche d'une essence.

Les musiciens postpunk proposèrent donc une série de réponses plus formelles, répondant à la même réalité que le punk mais avec la croyance moderniste que la forme devrait être aussi confrontationnelle et anti-romantique que le contenu textuel.

Les études new wave de la vie domestique de la classe laborieuse et de sa jeunesse se poursuivirent avec la déferlante 2-Tone, conduite par les Specials et Madness.


A noter que les correspondants américains cachèrent davantage leur commentaire social sous des couches d'étrangeté.



Souces / pour appronfondir :
Simon Frith, Formalism, Realism & Leisure: The Case of Punk (1980)
Simon Frith, Post Punk Blues (1983)
Neil Eriksen, Understanding Punk Rock (1980)

14/03/2015

Postrock

post (-punk, -rock) préf. Désigne des groupes pour qui c'était mieux après.


Cette définition est issue du Dictionnaire de la mauvaise foi musicale de Josselin Bordat et Basile Farkas. Blague à part, l'idée est assez juste.

L'utilisation de ce préfixe dans le cadre du postpunk et du postrock témoigne indiscutablement de la nécessité d'un dépassement respectif du punk et du rock. Les « post » peuvent être alors compris comme une reformulation critique et expérimentale de ces courants devenus conservateurs.

A l'aube des 90's, une poignée de groupes anglais motivés par le développement des musiques électroniques telles que la techno et le hip hop, par l'improvisation et l'avant-garde, s'aventurèrent dans des territoires encore innommés. En 1994, Simon Reynolds proposa alors une formule plus concise, « postrock ». Le terme en lui-même supposant l'emploi d'une instrumentation - guitare/basse/batterie avec des machines, sampleur et séquenceur - à des fins non rock.









L'un des aspects liant entre eux ces formations était une approche conceptuelle de la musique ; une volonté de faire exploser les contours stylistiques préétablis. Des groupes indie qui essayèrent de pas être des groupes indie, et qui échouèrent dans le processus sur quelque chose hors du rock. 

Cette première vague postrock, prise en sandwich entre le grunge et la britpop, fut trop vite oubliée et sera connue sous le nom de « Lost Generation ». 
 
Des collectifs nord-américains vinrent alors définir davantage une identité et une véritable scène internationale « post-rock ». Pour Jack Chuter (Storm Static Sleep: A Pathway Through Post-Rock, 2015), il s'agit alors d'une musique largement instrumentale basée sur de larges espaces, entrecoupées de jazz virtuose. Paradoxalement, l'énergie du rock est aussi un composant essentiel. Peut-être parce que les auditeurs comprennent plus clairement le terme rock que post.
 

 
Ponctuellement, le postrock de
1993-94 (sinon le concept, du moins ses techniques et son intention) revient chez ceux qui abandonnent partiellement ou totalement la performance live comme modèle d'enregistrement : la volonté d’une musique irréaliste et anti-naturaliste.


Grâce à l'échantillonnage et au travail de studio, le postrock apprit des autres genres comment manipuler l'arrangement de textures et d'espace ; à l'instar du postpunk en son temps. Plus d'une décennie après, Reynolds conclut que le rock britannique ouvre, à intervalles réguliers, de nouvelles zones de possibilités en flirtant avec l'avant-garde noire américaine, en en adoptant les dernières avancées en matière de rythme, de production, et innovations dans l'expression et les ambiance : la scène de Canterbury avec le jazz et le rhythm'n'blues, le postpunk avec le funk, le disco et le dub, le postrock avec le hip hop, la techno et la jungle.

Sans de tels développements modernistes, le rock ne fait que succomber à la relation narcissique et autodestructrice qu'il entretient avec son histoire. Croulant sous le poids du passé, il devient alors un « art classique », un « trésor culturel » qui finit dans des rétrospectives et des musées, dans la nostalgie, le revivalisme, le pastiche et diverses recombinaisons postmodernes.

Sources / pour approfondir

Simon Reynolds, Postrock (1994) présenté et commenté dans Bring the Noise (2007)
Keith Henderson, What Exactly Comes After Post-Rock? (2001)
Jeanne Leech, Fearless: The Making Of Post-Rock (2017)
 
Mise à jour 21/12/2023,
suite à la sortie de la compilation In The Light Of Time: UK Post Rock And Leftfield Pop 1992-1998 (2023)

22/02/2015

35 ans plus tard

Demain, le Pop Group sort un nouvel album, 35 ans après leur ex-dernier. Il sera suivi dans les semaines à venir par Gang of Four et Wire.


Profitons de cette actualité pour jeter une oreille sur les productions récentes de vétérans postpunk et no wave. Jadis avant-gardes, ces musiciens ont adopté différentes attitudes au fil de trois décennies. Au choix : poursuite d'une pratique marginale patiemment construite ; perpétuel renouvellement au contact des contemporains ; exercice de style pour rompre avec les habitudes ; capitalisation facilement rentable des acquis...

Sélection partielle, donc partiale :









01/02/2015

Schisme

En comprenant le punk comme une réforme du rock, une nécessité de considérer la musique populaire et sa pratique sociale d'une autre manière, nous pouvons parler de schisme entre la new wave et la old wave.



Cette note regroupe quelques illustrations du clivage entre les deux vagues :

1) Deux chansons avec la même progression harmonique, I–V–vi–IV :
- le tube power pop des Only Ones, Another Girl Another Planet (1978) avec ses guitares grimpantes, son chant blessé et ses paroles elliptiques sur la toxicomanie : new wave.
- l'hymne AOR de Journey, Don't Stop Believin' (octobre 1981) avec son fameux riff au clavier, sa construction épique et son enthousiasme terrassant : old wave.
Sur cette même suite d'accords omniprésente dans la pop music, voir le medley par Axis of Awesome :

2) Deux reprises du standard garage, You Really Got Me des Kinks (août 1964) :

- old wave par Van Halen (janvier 1978) tout en testostérone, les potards à 11, avec une version déployant le caractère sonique et l'excitation contenue de l'originale.
- new wave par Oingo Boingo (juin 1981) dans la déviance mélodieuse, avec une interprétation soulignant le caractère obsessionnel et pervers des paroles.

07/01/2015

Le punk et sa musique

Addendum à la note sur les racines du postpunk ; largement basé sur l'introduction de Rip It Up & Start Again de Simon Reynolds.

Le 16 juillet 1977, un mois après la sortie de God Save The Queen en 7'', John Lydon fut invité sur la station londonienne Capital Radio. L'émission The Johnny Rotten Show alterna une interview par le DJ Tommy Vance et une sélection musicale issue de sa collection personnelle de disques. The Punk and His Music.


Rapidement au cours des questions, Lydon/Rotten s'en prit au manque d'originalité de nombreux groupes punks :
One of the first things I was ever quoted as saying was “I'd like to see more bands like us”. Right? When I said that, I didn't mean exactly like us. Unfortunately that's what happened. Imitations. Billions of them. And I wanted nothing to do with any of them. There were a few originals, but not many.
Le dit punk abandonna son image publique de terroriste culturel et apparut comme sensible, érudit et ouvert d'esprit. Il révéla ses goûts musicaux éclectiques et sophistiqués : reggae, folk, soul, avant-garde, rhythm'n'blues et même des productions connotées « hippie ». Déroutant ainsi les attentes des auditeurs qui pensaient y entendre les Stooges ou les Dolls.
I just like all music… I love my music
Malcolm McLaren fut horrifié par cette volte-face contredisant la mythologie punk qu'il avait longuement construite. Avant même la fin des Sex Pistols, les graines de la future désintégration du punk entre les factions oï et postpunk, entre fondamentalistes et progressistes, avaient déjà pris racines.
Just play the records. They'll speak for themselves. That's my idea of fun…

La transcription de l'interview et la liste des morceaux diffusés est visible ici.